Friday, March 26, 2004

Antigona

Avec la complicité de Paul Quenson pour les costumes et de l'Atelier M/M pour les décors, Eric Vigner a situé l'action de l'Antigona de Traetta dans un monde imaginaire, intégralement noir et blanc, rideau de scène et toiles peintes y compris, qui évoque Miro (on y déchiffre dans un graphisme chargé les six lettres qui forment le nom de Thèbes). Des blocs rectangulaires massifs sont poussés sur le plateau par des jeunes gens (initialement, chacun représente lui aussi l'une des lettres du nom de Thèbes, graphisme qui fait penser à Dubuffet ; plus tard ce ne seront guère que d'anonymes meubles blancs d'exposition. Les costumes sont eux aussi noirs et blancs (certains, assez beaux, pourraient être signés Cocteau, d'autres par les stylistes d'Adidas). Nous sommes hors du temps, mais tout ici, dans un décor " tendance " comme dans la mise en scène chargée de symbolisme de Vigner, invite le spectateur à un décryptage irritant car le sens n'apparaît pas clairement : pour preuve, ces deux acteurs jumeaux (les frères d'Antigona) qui miment un combat et s'entretuent au prologue, et que l'on verra ensuite arpenter le plateau ou observer, l'air grave ou absent, le déroulement de l'action. Il est nécessaire de lire ensuite les notes de programme pour trouver les clefs, des considérations sur la gémellité sans rapport évident avec le livret de Coltellini. Et si l'on a besoin de lire les intentions du metteur en scène pour décoder et comprendre, c'est que la mise en scène ne fonctionne pas. Pire, elle distrait l'oeil et l'attention sans les concentrer sur l'action et l'émotion musicale, et pour qui ne connaîtrait pas l'italien, elle ne rend en rien compréhensible l'enchaînement des événements. Il faut attendre le troisième et dernier acte pour qu'elle fonctionne enfin. Et c'est bien dommage car Antigona apparaît indéniablement comme un chef-d'oeuvre, dont il est inexplicable qu'il ne fasse pas partie du répertoire des théâtres lyriques. Le travail sur la rénovation de l'opéra mené par Traetta trouve ici son aboutissement, et le dramatisme et la splendeur funèbre des interventions des choeurs évoquent la densité et l'émotion de ceux de l'Idomeneo de Mozart. Musicalement, l'opéra est aussi magnifiquement servi que l'avait été l'Ippolito ed Aricia de Traetta par le même Rousset, il y a quelques années, sur ce plateau de l'Opéra Comédie. Maria Bayo est une Antigona à la voix impérieuse, de belle étoffe, parfois inhabituellement durcie dans quelques aigus, et qui se joue des pièges de la partition. A ses côtés, l'Ismene de Marina Comparato et l'Emone de Laura Polverelli sont parfaites de musicalité et de sensibilité, tandis que Kobie van Rensburg campe un Creonte dramatique, pathétique dans sa grande lamentation. Les choeurs (ceux de l'Opéra de Montpellier) et Les Talens lyriques sont parfaits, mais on admire avant tout la cohérence dramatique et la vie que donne à l'opéra un Christophe Rousset inspiré, lui qui en avait gravé la version intégrale chez Decca, en première mondiale, avec déjà l'Antigona de Maria Bayo.
Opéra International - mai 2004