Tuesday, June 22, 2004

En noir et blanc, revisitation surprenante de l’Antigone de Traetta

Le public des premières a parfois des réactions inexplicables : la bronca de huées qui a accueilli Eric Vigner et ses décorateurs de M/M sentait le lynchage. Pourtant, Vigner a présenté une lecture subtile (peut-être trop) du drame de Traetta, opéra somme toute médiocre typique de la tendance réformiste initiée par Gluck et par Jommelli. Très peu de musique à y sauver, le drame fait tout. Maria Bayo avait été ravie à cette première pour un heureux événement, Raffaella Milanesi la remplaça avec un cran qu’on doit saluer, car sa partie n’est pas aisée, et les vocalises y sont nombreuses. Voix encore un peu petite, mais qui est capable d’imprimer toute la dimension tragique du personnage.
Le Créon furieux de Kobie van Rensburg triomphait avec vaillance d’un chant orné assez vertigineux, quant à l’Emone de Laura Polverelli il a fait de grand progrès depuis l’enregistrement de l’œuvre. L’Adraste vaillant de John McVeigh étonne par le tranchant de son timbre, mais c’est surtout l’Ismene de Marina Comparato qui avec Antigone donne à l’œuvre toute sa nostalgie si prégnante dans les moments d’une partition hantée par un ton uniment funèbre.
Dommage que le dispositif scénique, avec son proscenium souvent sollicité, ait enfermé Les Talens Lyriques dans une fosse trop profonde, faisant sonner la formation modeste (par l’effectif) de Christophe Rousset comme dans une boite. En scène, Vigner colle au drame, dans les impressionnants panneaux inspirés par Miro et vidés de leurs couleurs pour imposer ce noir et blanc qui s’applique aussi aux costumes. Jamais la carnation des visages n’aura pris autant d’importance dans un spectacle et ne se sera transformé à ce point en un réceptacle d’émotions. On lisait à livre ouvert dans les yeux de chacun des chanteurs. Pourtant, Vigner devrait renoncer au début du III à la gymnastique un peu malheureuse qu’il impose inutilement au chœur. C’est là la seule paille d’une mise en scène impeccable.
L’omniprésence d’Etéocle et de Polynice, les frères fratricides qui meurent dès la première scène, incarnés par un couple de jumeaux d’une troublante beauté, fait tomber tout l’opéra en Hadès, et Antigone ne se relèvera que pour y descendre, Vigner refusant le Happy End idiot choisi par Coltellini pour détourner le destin de la fille d’Œdipe. Antigone est bien morte, pas de rémission, elle rejoint Polynice avec lequel, par delà les ombres, Vigner l’avait déjà réunie durant le spectacle en des scènes d’une tendresse amoureuse bouleversante. Un des plus beaux objets esthétiques de la saison. Courrez-y, qui sait, contrairement à nous vous en aimerez peut-être en plus la musique.

Concertclassic